Dans la grande famille des marins, il y a ceux qui courent après les podiums, et ceux qui avancent pour transmettre. Benoît, lui, embarque les autres : les jeunes, les copains, les enfants du vent. Juste pour le plaisir de partager, et d’offrir aux passionnés la joie des belles régates.
« Comment j’ai découvert la voile ? » Il esquisse un sourire et remonte le temps. « Au-dessus de Grenoble, ils ont construit un barrage, et un lac est né en 1962. Je suis né en 68, et mon premier été, je l’ai passé au camping du lac de Monteynard. Naturellement ensuite, j’ai commencé la voile. »
C’est donc à Monteynard que tout commence. Son père, ingénieur au centre de recherche de Grenoble, participe à la création de la première base de voile du coin, accessible seulement par des chemins en terre. À cinq ans, Benoît traverse déjà le lac en bateau le matin, avant que le vent ne soit trop fort l’après-midi. Pas de permis, pas de balisage, juste l’instinct, la confiance des parents, et l’immensité de la liberté. « C’était une autre époque, les parents étaient peut-être un peu plus détendus… »
Très vite, la régate entre dans sa vie « A sept ans, je suivais mon frère sur les régates. » Les dimanches s’enchaînent entre Annecy, le Bourget, le Léman. Monteynard voit naître une petite équipe soudée, où les plus âgés forment les plus jeunes. C’est là que Benoît rencontre Didier Lenormand, Manu Chomel, les copains de toujours, ceux avec qui il partage encore cette passion. À son tour, il commence à encadrer. « Mon frère nous entraînait à 18 ans, puis j’ai fait pareil. On n’était pas les meilleurs coachs du monde, mais on avait de l’énergie, de l’empathie, et l’envie sincère de faire grandir les autres. Pas pour nous. Pour eux. »
Il entame des études d’optique, et sa copine de l’époque lui glisse : « Qu’est-ce que tu fais ? Je te vois pas du tout dans un magasin à vendre des lunettes toute la journée. » Il sourit en y repensant : « Elle avait raison, alors je suis parti faire un Brevet d’État à l’ENV à Quiberon. » Diplôme en poche, il entraîne à Aix-les-Bains. Un chagrin d’amour et un appel de Didier changent la donne. « On cherche quelqu’un à Morges. »
À 24 ans, Benoît s’installe alors en Suisse et n’en repartira plus. Il y devient un pilier. Formateur passionné, toujours tourné vers les autres, il guide, écoute, transmet. Son énergie n’est pas celle du coach enragé de victoire, mais celle d’un passeur. Il voit la voile comme un art de vivre, une école de patience, un lien invisible entre les générations. « On nous a inculqué ça très tôt, l’échange, la transmission. La voile nous a beaucoup donné, on a juste envie de le lui rendre. »
Depuis plus de vingt ans, il est responsable du comité de course sur les circuits D35 puis TF35. Et dans ces flottes, nombreux sont les jeunes qu’il a un jour formés. « Je m’implique pour que le jeu soit le plus beau possible. La voile, ce n’est pas un terrain de foot avec des lignes. Il faut inventer le parcours à chaque manche. Et c’est ça qui me fascine. » Il évoque alors son père. « Il m’a mis sur un bateau à moteur tout petit. J’ai passé des journées sur le bateau start. Et j’ai toujours halluciné. » Aujourd’hui encore, il continue à œuvrer, sur son Pierrot, par fidélité, par amitié, pour le spectacle.
Et ses souvenirs les plus forts ? « Les orages traversés… de l’angoisse sur le moment, mais derrière, des souvenirs inoubliables. Et puis voir des gamins gagner leurs premières régates, les voir s’épanouir, créer des équipes soudées… Et les voir encore ensemble, trente ans après. » Car la voile, c’est aussi cela : des amitiés forgées sur l’eau, qui durent bien après que les voiles soient rangées.
Mais une régate lui tient particulièrement à cœur : le Bol d’Or du Léman. Cette course mythique, rite initiatique, qu’il court avec les écoles de voile depuis des décennies. « Le Bol, c’est la grande fête du lac. C’est mythique. Et je voulais que les jeunes vivent ça : le parcours, l’adrénaline d’un départ immense en flotte, la magie de leur première nuit sur le lac… »
Cette course lui avait toujours échappé. Jusqu’au 15 juin 2025. Ce jour-là, sur Fou du Vent, un Surprise, il remporte enfin le Bol d’Or après quelque 27 heures de course. Avec ses jeunes. Benoît n’était pas seulement sur le podium, il était dans leurs yeux, dans leur joie, dans cette suite logique d’une vie tournée vers les autres. « On gagne avec mon coach qui m’a formé, qui nous a tant donné. Aujourd’hui, c’est à notre tour de lui rendre, » déclarait Victor Casas lors de la remise des prix à la Société Nautique de Genève face aux yeux émus de son entraîneur.
Quant à ses rêves ? Ils ne sont pas tous rangés au sec. « J’aimerais bien faire le passage du Nord-Ouest. Plus jeune, j’aurais voulu faire la Mini Transat… mais on était loin de la mer, on n’avait pas les connexions. Maintenant, je ne cherche plus trop la course, mais ce voyage-là, oui, j’aimerais. » Pour l’essence du large, l’aventure encore. Puis il ajoute avec tendresse : « La voile prend beaucoup de place… parfois au détriment de la famille. J’ai beaucoup de chance d’être compris. C’est grâce à eux que je vis cette passion. »
Benoît, c’est cet homme rare qui, plutôt que de courir devant, s’est toujours arrangé pour que d’autres suivent le vent. Celui qui a grandi sur un lac, formé des marins, et su garder intacte cette petite flamme qui fait qu’un jour, on monte sur un bateau… et qu’on n’en redescend jamais vraiment.
Benoît Deutsch, Responsable du comité de course